Une main tendue vers le continent noir
Lorsqu’il arrive en Côte d’Ivoire en octobre 1986, Basquiat est enthousiaste et plein d’illusions sur ce qu’il va enfin découvrir.
Le voyage prend la tournure d’une véritable quête initiatique, d’une exploration de ses propres origines. Lors de son séjour dans le pays sénoufo, il va se promener seul dans les rues de Korhogo, se rend au marché des fétiches en compagnie de Monique Le Houelleur (Kaïdin) , cherche à rencontrer des individus qui, on peut le supposer, lui permettraient d’identifier ces esprits qui l’habitent, de repousser les fantômes. C’est le sens de l’oeuvre qu’il réalise peu avant d’entreprendre ce voyage qu’il envisage comme un retour vers ses racines africaines: TO REPEL GHOSTS (1986, acrylique sur bois, 112X83X10).
Basquiat cherche à comprendre l’Afrique secrète, celle des ancêtres et des forces occultes. Les terres et les peuples originels du vaudou ne sont pas loin. Il se sait attaché, possédé et dépossédé à la fois, par des êtres, des esprits, des dieux, qui commandent ses actes et ses humeurs. Les psychotropes à la mode à New York n’arrangent rien, l’Afrique lui offrira-t-elle sa thérapie ? D'après Claudio Caratsch (ancien ambassadeur de Suisse en RCI), qui avait accueilli Basquiat chez lui en 1985, l'artiste était "fasciné d'apprendre la fonction apotropaïque de l'art africain" .
Cette idée que l'art soit en Afrique un medium pour conjurer le mauvais sort l'interpelle.
Au terme de ses pérégrinations dans les quartiers de Korhogo, il finira par mettre la main sur différents objets, toute une collection de lance-pierres, des tambours, mais surtout un fétiche «authentique» (pensait-il) qu’il fut très fier d’avoir déniché et qu’il rapportera ensuite à New York.
Le jour du vernissage est fixé la date du 11 octobre. Et c’est semble-t-il la déception.
Selon l’ambassadeur de Suisse en Côte d’Ivoire, Claudio Caratsh, «une soudaine timidité» aurait retenu Basquiat de venir à la cérémonie d’ouverture, qui a néanmoins connu une immense affluence.
Un autre commentaire, celui de l’un de ses biographes, Phoebe Hoban, laisse penser que peut-être Basquiat aurait regretté que son exposition attire davantage les officiels, les diplomates, les hommes d’affaire et les personnalités en vue de la jet set locale, plutôt que les gens du peuple.
Si l'on en croit Bischofsberger, Basquiat espérait rencontrer l’homme de la rue: «He [Basquiat] was hoping that very unsophisticated African people would see his show»(cf. Le site Africa is a country / Basquiat in Africa ). En réalité, le vernissage est une soirée mondaine. A peine quatre ou cinq artistes ivoiriens connus répondent à l’appel. Mais ceux-là, formés en Occident, ne sont pas ceux que Basquiat aurait voulu croiser. Bischofberger va même plus loin en prétendant que l’artiste se faisait une image totalement anachronique de l’Afrique. Il l’aurait même prévenu de ne pas être désappointé par le fait qu’il y avait à Abidjan des routes et des gratte-ciels, et non des pauvres gens vivant dans des huttes primitives !
Quelques jours après l’ouverture, Basquiat finit par rencontrer des étudiants de l’Institut des Beaux-Arts. C’est sans doute l’un des moments les plus importants pour lui. Mais, au final, selon Monique Le Houelleur, la rencontre dont il rêvait n’a pas eu lieu: « Public et artistes africains ne comprirent ni l’importance de l’oeuvre ni le sens du geste, cette main tendue vers le continent noir».
NJ © Jean-Michel Neher
A lire : Basquiat en Afrique (1)
Réédition de quelques articles écrits en 2008 et publiés sur le blog "Ici Palabre" (LeMonde.fr) aujourd'hui inactif. Certaines personnes citées dans ce post avaient alors réagi pour confirmer ou nuancer mes propos, notamment l'ambassadeur Caratsch (que je remercie pour son témoignage).
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